Le 11 septembre 1973, au Chili, le gouvernement d'Unité Populaire est renversé dans des conditions dramatiques. Le président socialiste Salvador Allende, élu trois ans plus tôt, est conduit au suicide.
C'est pour ce pays prospère de dix millions d'habitants la fin d'une pratique démocratique vieille de plusieurs décennies qui lui a valu le surnom autrefois élogieux de « Prusse de l'Amérique du sud » ou encore de « Suisse de l'Amérique du Sud ».
André Larané

L'armée s'insurge
Salvador Allende est le premier marxiste latino-américain élu démocratiquement. Il ne doit cependant son élection à la présidence le 4 septembre 1970, qu'à la division de ses adversaires.
À la tête d'une coalition hétéroclite qui va des radicaux centristes à l'extrême-gauche révolutionnaire et violente, il voit se dresser en face de lui une droite qui réunit la bourgeoisie mais aussi une fraction des ouvriers victimes des désordres économiques.
En avril 1973, les étudiants de l'Université catholique de Santiago applaudissent les grévistes de la grande mine de cuivre d'El Teniente ! Plus grave encore, le 29 juin 1973, un groupe d'officiers tente de se mutiner à la tête du principal régiment de blindés de Santiago.
Le 23 août 1973, humilié et découragé, le général Carlos Prats, fidèle soutien du gouvernement, remet sa démission et Salvado Allende appelle Augusto Pinochet (58 ans) à le remplacer à la tête de l'armée de terre. Le président ne voit plus d'autre issue que dans un référendum mais on ne lui laissera pas le temps de l'organiser.
À peine deux semaines plus tard, les commandants de l'armée de l'air et de la marine décident de mettre un terme par la force à l'expérience socialiste. Non sans peine, le 9 septembre, ils persuadent le général Pinochet de se joindre à la junte.
Le matin du 11 septembre 1973, des unités de la marine neutralisent le port de Valparaiso. Peu après, à Santiago-du-Chili, les soldats investissent le palais présidentiel de La Moneda, construit en 1806.

Après une allocution désespérée à la radio, le président demande à ses défenseurs de quitter les lieux. Resté seul, il se suicide d'une rafale de mitraillette. Il a 65 ans.
La junte militaire proclame l'état de siège dans tout le pays et dissout les partis. Dans les jours qui suivent, 45 000 personnes suspectes de sympathies marxistes sont raflées et concentrées dans le sinistre stade de Santiago (*).
Trois mille d'entre elles disparaissent tragiquement dans les geôles militaires ; beaucoup sont torturées avant d'être exécutées de diverses façons comme d'être lâchées du haut d'un avion dans l'océan !
200 000 Chiliens se sentant menacés prennent les chemins de l'exil.
Ce déchaînement de violence sadique vaudra un quart de siècle plus tard une inculpation de crime contre l'humanité à Augusto Pinochet.

La dictature en marche
Contre toute attente, le commandant de l'armée de terre a réussi à prendre l'ascendant sur ses homologues de l'air et de la marine. Animé par une immense soif de revanche, il utilise la violence pour asseoir son pouvoir sur le pays.
Après avoir laissé pendant quelques jours les militaires se défouler, il confie la police politique à un organisme à sa dévotion, la DINA (Dirección de Inteligencia Nacional). Celle-ci, dans les années suivantes, va méticuleusement traquer les opposants, au Chili et à l'étranger.
Le 30 septembre 1974, le général Carlos Prats et son épouse sont tués dans un attentat à la voiture piégée à Buenos Aires. Deux ans plus tard, le 21 septembre 1976, à Washington, c'est le tour d'Orlando Letelier, économiste et ministre des Affaires étrangères de Salvador Allende.

Les entreprises nationalisées par les présidents précédents sont restituées à leurs anciens propriétaires cependant que sont privatisées de grandes entreprises publiques comme l'Entreprise nationale d'électricité. Le contrôle des prix est aboli, les barrières douanières abaissées, les investissements étrangers encouragés.
La croissance économique ne tarde pas à s'accélérer mais c'est au prix d'une extrême aggravation des inégalités et de la pauvreté.
En 1980, Augusto Pinochet, soucieux de légitimer son pouvoir, appelle ses concitoyens à ratifier par plébiscite une nouvelle Constitution.
Le 5 octobre 1988, enfin, le « chef suprême de la Nation » met son pouvoir en jeu à l'occasion d'un référendum. Cette fois, l'URSS étant à l'agonie, il n'est plus d'aucune utilité pour Washington, qui n'a plus à craindre les menées soviétiques en Amérique latine. 54% des Chiliens se prononcent contre la prolongation du mandat de Pinochet.
Fin de règne
Augusto Pinochet quitte donc la présidence de la République le 11 mars 1990... tout en conservant huit ans encore le commandement de l'armée de terre ! Lentement, le Chili sort de la dictature et renoue avec ses traditions démocratiques.
Sénateur à vie, l'ancien dictateur est arrêté le 16 octobre 1998, lors d'un voyage à Londres, suite à une poursuite engagée par le juge espagnol Baltazar Garzon pour crime contre l'humanité. Il regagne le Chili après 503 jours de détention.
Il meurt le 10 décembre 2006, richissime mais honni par la plupart de ses concitoyens... Pendant ce temps, à La Havane (Cuba), un autre dictateur (Fidel Castro) arrive paisiblement au terme d'un demi-siècle de pouvoir ininterrompu.
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